Assurance vie : peut-on vous empêcher de récupérer votre argent ?

Sep 17, 2020 | Epargne

Intervention d’Hélène Feron-Poloni dans le Money Vox du 17 Septembre 2020. 

Votre banque, assureur voire l’État peuvent-ils vous empêcher de piocher dans votre assurance vie ? L’affaire H2O vient rappeler que votre argent peut (temporairement) être inaccessible.

1 – Qui est actuellement concerné par un blocage ? H2O ?

C’est évidemment la formule de la molécule d’eau mais c’est aussi, si vous détenez un contrat d’assurance vie, le nom d’une société de gestion (H2O Asset Management, filiale britannique de Natixis) pilotant peut-être l’une ou plusieurs de vos unités de compte (UC). Or huit fonds d’investissement gérés par H2O AM, et présents en tant qu’UC dans des milliers d’assurances vie, sont « suspendus » depuis le 28 août, à cause « d’incertitudes de valorisation ».

Concrètement, si vous possédez les fonds H2O Allegro, MultiBonds, MultiStrategies, Adagio, Moderato, MultiEquities, Vivace ou le FIA H2O Deep Value dans votre portefeuille, vous ne pouvez actuellement ni retirer votre argent investi, ni transférer votre mise vers un autre support en UC de votre contrat. Et ce pour « 4 semaines », promet H2O AM… Pendant ce laps de temps, la société de gestion doit régler de sérieux problèmes : de bien trop nombreux titres « privés » (illiquides, difficiles à vendre) dans ses fonds. H2O doit dupliquer chacun de ses fonds, pour isoler la partie illiquide, avant de pouvoir relancer leur cotation. Et donc de pouvoir à nouveau permettre aux épargnants de retirer leur mise.

En ce mois de septembre, le sujet H2O est hautement explosif dans le monde de la gestion de patrimoine. Peu de conseillers financiers acceptent d’évoquer publiquement le sujet, car de nombreux épargnants pourraient prochainement se retourner contre eux. Et les assureurs se contentent de parler a minima, en diffusant des communiqués succincts où ils préviennent leurs assurés du « report » des opérations initiées sur les UC concernées. Près de 10 milliards d’euros sont ainsi gelés ! Les épargnants touchés sont en premier lieu des clients de conseillers en gestion de patrimoine, friands des performances alléchantes de H2O, mais aussi des clients de banques ou de courtiers en ligne, pour des montants qui selon nos informations se révèlent plus faibles.

2 – Quelle loi permet de bloquer ainsi votre épargne en assurance vie ?

La loi dite Sapin 2, en vigueur depuis décembre 2016. Centrée principalement sur la lutte anti-corruption, elle portait aussi une mesure de limitation des retraits, laquelle n’avait pas manqué de créer la polémique et de faire réagir l’association d’épargnants Afer. En bref : si un assureur est au bord de la faillite, les pouvoirs publics peuvent décider de limiter les retraits. A l’époque, parlementaires, banques et assureurs se voulaient rassurants : cette disposition ne sera utilisée qu’en cas de cataclysme financier.

« D’un point de vue réglementaire et contractuel, l’investisseur particulier est bien protégé : son épargne est disponible », confirme d’ailleurs Isabelle Monin Lafin, avocate associée d’Astrée Avocats, en faisant référence à une période normale, hors crise. « Néanmoins, des mécanismes extracontractuels peuvent remettre en cause ce principe », ajoute-t-elle. « C’est la prérogative de puissance publique qui prime sur l’intérêt privé. » En cas de crise, donc.

L’affaire H2O permet toutefois de rappeler que la loi Sapin 2 prévoit non pas un mais deux cas de figure pouvant engendrer un blocage de vos avoirs en assurance vie, comme l’explique Hélène Feron-Poloni, avocate spécialiste de la défense des épargnants : « Le premier pour protéger un assureur ou un groupe d’assureurs qui seraient en difficulté financière ou en situation de risque systémique, le second pour protéger un ou des assureurs qui ont à faire face à des demandes de rachat ou d’arbitrage alors que la cotation d’un fonds qu’ils ont référencé a été suspendue. » Pour l’affaire H2O, c’est évidemment le second cas.

3 – Quand votre assureur peut-il bloquer toute votre épargne ?

Le premier des deux cas de recours à ce « blocage Sapin 2 » est le plus connu : si votre assureur fait face à de très graves difficultés financières. Cette disposition, plus précisément l’article L612-33 du Code monétaire et financier, « passe par les régulateurs », souligne Me Hélène Feron-Poloni : c’est le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), entité rattachée à Bercy, qui a la main pour décider d’enclencher ce blocage temporaire. Les retraits peuvent alors être suspendus pendant 3 mois, délai renouvelable une fois, soit 6 mois maximum.

Face aux taux bas persistants et à la crise du Covid-19, la menace du blocage des retraits au niveau de la compagnie d’assurance est certes « possible » pour un petit assureur, juge Mathieu Ramadier, directeur général délégué du courtier Mes-Placements, mais il insiste : « Je ne suis pas inquiet ». L’avocate Hélène Feron-Poloni considère elle aussi ce risque relativement faible : « Les assureurs n’ont aucun intérêt à provoquer la panique chez leur client. La suspension au niveau de la compagnie d’assurance ne devrait intervenir qu’en cas de réelle menace pour l’assureur. »

4 – Quand l’un des fonds de votre assurance vie peut-il être bloqué ?

Le deuxième cas de recours à la loi Sapin 2 est un risque bien plus prégnant, puisque c’est la disposition qui vient d’être activée pour la société de gestion H2O ! « Pour les sociétés de gestion, je suis beaucoup plus inquiet », reconnaît Mathieu Ramadier, de Mes-Placements, car à l’image de H2O AM, d’autres sociétés de gestion ont pu prendre des risques pour pouvoir afficher des performances attractives, avant de se retrouver en difficulté face à la crise.

Cette disposition, plus précisément l’article L131-4 du Code des assurances, donne la main non pas aux régulateurs mais aux sociétés de gestion elles-mêmes. Première étape : la société de gestion déclare ne pas être « en mesure de publier une valeur liquidative ». Deuxième étape : « l’assureur peut ensuite mettre en place la limitation des rachats », explique Me Feron-Poloni, le contrôle du régulateur, l’ACPR (1) n’intervenant dans ce cas qu’a posteriori. Le même article du Code des assurances permet aux assureurs de plafonner des rachats plutôt que de les suspendre. Combien de temps peut durer cette suspension ? La loi ne prévoit aucun délai maximal.

Faut-il s’attendre à voir de nombreuses sociétés de gestion demander une telle suspension, de façon à mieux digérer des difficultés ponctuelles ? « Une société de gestion a-t-elle un intérêt à provoquer une suspension ? Cette décision est tellement délétère sur la réputation que j’en doute », répond Hélène Feron-Poloni, qui insiste sur les conséquences néfastes du blocage : « L’affaire H2O est une très mauvaise publicité pour les compagnies d’assurance car elle instille, dans la tête des épargnants, l’idée selon laquelle ils peuvent se voir ponctuellement privés de l’accès à leur épargne ! Imaginez des bénéficiaires d’assurance vie dans l’impossibilité de débloquer des sommes, alors qu’ils souhaitent s’en servir pour payer les frais de succession, par exemple. »

5 – Quel recours si vous avez besoin de l’argent rapidement ?

Que faire, si vous faites face à une suspension de retraits « Sapin 2 » ? Rien, à part attendre. Et si vous vous estimez lésé par un tel blocage, quel est votre recours ? « L’investisseur pourrait envisager de se retourner contre le distributeur de l’assurance vie, c’est-à-dire le conseiller financier, la banque ou l’assureur, en prouvant que cette information essentielle sur un mécanisme légal ne lui a pas été délivrée avant la conclusion du contrat, répond l’avocate Isabelle Monin-Lafin. Il faudra démontrer qu’il s’agit d’un manquement au devoir précontractuel d’information et de conseil. Mais ce recours apparaît hasardeux dans le cas d’une mesure légalement prévue et souvent validée par les autorités. »

6 – Hors période de crise, peut-on restreindre vos retraits ?

Seuls les deux cas évoqués ci-dessus permettent de bloquer totalement les mouvements sur une assurance vie. Deux cas qui interviennent donc en période de crise. En temps normal, certains supports en UC peuvent certes faire l’objet de restrictions : les SCPI et autres fonds immobiliers ou encore les produits structurés sont des investissements sur des horizons de 8 à 10 ans. Et si vous avez besoin de votre argent plus tôt ? « Pour les SCPI, c’est l’assureur qui supporte le poids de la liquidité », rappelle Mathieu Ramadier, de Mes-Placements. Le Code des assurances contraint en effet l’assureur à vous restituer votre mise dans un délai de 2 mois quel que soit le support. Mauvais point : vous pouvez certes réclamer votre épargne, mais vous ne récupérez que la valeur actuelle de l’UC en question, avec le risque de perdre de l’argent par rapport à votre mise initiale.

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